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dimanche, 16 novembre 2014

Coucou

" Ah! pardieu ! dit Coster, rien ne m'étonnerait que Cadoudal fût derrière cette barricade.

Il s'arrêta, fit signe à la voiture de Diana de s'arrêter et fit entendre une fois le cri du chat-huant, une fois le cri de la chouette.  On lui répondit par le cri du corbeau.

- Nous sommes reconnus pour des  amis; du reste demeurez ici, je reviens vous prendre."


Alexandre Dumas. Le Chevalier de Sainte-Hermine.

dimanche, 15 juin 2014

Anecdotes de la guerre

Mercredi 1er juin.— Le baron Larrey contait, ce soir, un épisode de Solférino. Il était à cheval, aux côtés de l’empereur, sur une éminence, au moment où la canonnade était effroyable, quand tout à coup, l’empereur lui dit : « Larrey, votre cheval est tué. » Il descendait, et voyait à son cheval, un grand trou au poitrail, d’où jaillissait une fontaine de sang. Ma foi, en sa qualité de chirurgien, il demandait une alène, de la grosse ficelle, et le recousait sur place, puis, le faisait reconduire à l’ambulance entre deux chevaux qui le soutenaient. Et le pansant et le soignant comme un soldat blessé, il le sauvait, et le bulletin de la santé du cheval devenait un sujet de conversation pendant toute la campagne, et même lors de l’entrevue de Villafranca. Enfin, complètement rétabli, le cheval était placé dans les écuries de l’impératrice.
Yvon,— c’était convenu,— devait représenter l’épisode dans la bataille de Solférino, mais le général Fleury s’y opposait, prétextant que la blessure du cheval déplaçait l’intérêt, le retirait de dessus la tête de l’empereur.

Journal des Goncourt. Mémoires de la vie littéraire Année 1861.

 *

3 juillet. — Un récit de guerre. Le capitaine de vaisseau Bourbonne contait, hier, que dans une batterie de Sébastopol, un canon ayant une roue qui tournait mal, par suite du recul de la pièce à chaque tir, il avait commandé à un soldat de marine qui desservait la pièce, de graisser la roue. Il n’y avait pas de graisse là, il fallait en aller chercher. Le soldat de marine, sans dire un mot, s’empara d’une hache, fendit le crâne d’un mort encore chaud, prit sa cervelle dans ses mains, et plaqua simplement la cervelle du mort sur le moyeu de la roue.

Journal des Goncourt. Mémoires de la vie littéraire — Edmond de Goncourt — Année 1870

La tête de l'emploi

Honoré de Balzac - La Comédie humaine
Scène de la vie politique, le député d'Arcis (VIII)

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"Maxime, un de ces hommes méprisés qui  savent comprimer le mépris qu'ils inspirent par l'insolence de leur attitude et la peur qu'ils causent, ne s'abusait jamais sur sa situation."

*

 Le comte, quoique d'une taille assez élevée et d'une constitution sèche, avait pris un peu de ventre, mais il le contenait au majestueux, suivant l'expression de Brillât-Savarin. Ses habits étaient d'ailleurs si bien faits, qu'il conservait, dans toute sa personne, un air de jeunesse, quelque chose de leste, de découplé, dû sans doute à ses exercices soutenus, à l'habitude de faire des armes, de monter à cheval et de chasser. Maxime possédait toutes les grâces et les noblesses physiques de l'aristocratie, encore rehaussées par sa tenue supérieure. Son visage, long et bourbonien, était encadré par des favoris, par un collier de barbe soigneusement frisés, élégamment coupés, et noirs comme du jais. Cette couleur, pareille à celle de sa chevelure abondante, s'obtenait par un cosmétique indien fort cher, en usage dans la Perse, et sur lequel Maxime gardait le secret. Il trompait ainsi les regards les plus exercés sur le blanc qui, depuis longtemps, avait envahi ses cheveux. Le propre de cette teinture, dont se servent les Persans pour leur barbe, est de ne pas rendre les traits durs; elle peut se nuancer par le plus ou le moins d’indigo, et s'harmonie alors avec la couleur de la peau. C'était sans doute cette opération que madame Mollet avait vu faire; mais on continue encore, par certaines soirées, la plaisanterie de se demander ce que madame Mollot a vu. Maxime avait un très-beau front, les yeux bleus, un nez grec, une bouche agréable et le menton bien coupé ; mais le tour de ses yeux était cerné par de nombreuses lignes fines comme si elles eussent été tracées avec un rasoir, et au point de n'être plus vues à une certaine distance. Ses tempes portaient des traces semblables. Le visage était aussi passablement rayé. Les yeux, comme ceux des joueurs qui ont passé des nuits innombrables, étaient couverts comme d'un glacis ; mais, quoique affaibli, le regard n'en était que plus terrible, il épouvantait : on sentait là-dessous une chaleur couvée, une lave de passion mal éteinte. Cette bouche, autrefois si fraîche et si rouge, avait également des teintes froides; elle n'était plus droite, elle fléchissait sur la droite. Cette sinuosité semblait indiquer le mensonge. Le vice avait tordu ces lèvres; mais les dents étaient encore belles et blanches. Ces flétrissures disparaissaient dans l'ensemble de la physionomie et de la personne. Les formes étaient toujours si séduisantes, qu'aucun jeune homme ne pouvait lutter au bois de Boulogne avec Maxime à cheval, où il se montrait plus jeune, plus gracieux que le plus jeune et le plus gracieux d'entre eux. Ce privilège de jeunesse éternelle a été possédé par quelques hommes de ce temps. Cette effroyable indifférence, qui lui permettait de seconder une sédition populaire avec autant d'habileté qu'il pouvait en mettre à une intrigue de cour, dans le but de raffermir l'autorité d'un prince, avait une sorte de grâce. Jamais on ne se défie du calme, de l'uni, surtout en France, où nous sommes habitués à beaucoup de mouvement pour les moindres choses. Vêtu selon la mode de 1839, le comte était en habit noir, en gilet de cachemire bleu foncé, brodé de petites fleurs d'un bleu clair, en pantalon noir, en bas de soie grise, en souliers vernis. Sa montre, contenue dans une des poches du gilet, se rattachait par une chaîne élégante à l'une des boutonnières.

Scène de la vie politique, le député d'Arcis (VIII)

*

 Né en 1791, issu d'une famille au blason très ancien, Le comte Maxime de Trailles est page de l'Empereur à l'âge de douze ans et devient un élégant voyou utilisé par les hommes politiques (Eugène de Rastignac, Henri de Marsay). Il accumule les maîtresses tout au long de La Comédie humaine et il les ruine en faisant des dettes (des vraies et des fausses). À son tableau de chasse, on compte des femmes du monde (Diane de Maufrigneuse, Anastasie de Restaud, Delphine de Nucingen), ou des prostituées comme Sarah van Gobseck dite « La belle hollandaise », mère de La Torpille. Redouté à juste titre, il fait partie du clan des Treize, il est de tous les mauvais coups, appuyant sa réputation sur un pouvoir de nuisance démesuré, il se rend indispensable en politique (Le Député d'Arcis). Mais il lui arrive de se faire rouler dans la farine au même titre que Paul de Manerville dans Le Contrat de mariage. Il fait partie des « roués » comme Rastignac, qui brillent dans les salons et mènent le monde par le bout du nez. Sa carrière politique et son brillant mariage n'entameront ni son cynisme, ni le respect que lui témoignent les meilleures maisons nobles. Assez fanfaron lorsqu'il s'agit de conquêtes féminines, il peut être habile et secret lorsqu'il est question de « coups » financiers et de stratégie politicienne. Il n'hésite pas à assassiner. Amateur de bons mots, il surnomme Félicité des Touches « l'aubergiste de la littérature ». Sa vie se poursuit dans La Comédie humaine jusqu'en 1846 dans La Femme auteur où il est devenu ambassadeur après avoir obtenu le poste de ministre. (Wikipédia)

samedi, 17 mai 2014

Ils aiment

Que j'aime la rigueur combien que je l'accuse, et trouve du plaisir à craindre le trépas.

J'aime bien mieux qu'il ne se porte pas si bien. La belle opération, de me rendre borgne et manchot ! 

J'aime ma terre, mes bois, mes chevaux, mes vaches, mon gibier… mes paysans, plus que tout… jusqu'à cette vieille canaille de Lerible dont je ne puis me passer… J'aime la nature nue…

Celui-là est comique ! Se plaindre de ce que j'aime la bonne chère et l'aisance, moi qui suis l'Amour ! À quoi donc voulez-vous que je m'occupe ? à des traités de morale ?

Le tableau de Gauguin que j'aime le plus n'est pas ici. Peut-être en ceux-ci trop de fleur, une richesse trop épanouie... Je songe à ce grand panneau, à cet étrange Paradis méditatif, que Gauguin intitule : " Que sommes-nous ? D'où venons-nous ? Où allons-nous ?

Je puis vous avouer ma faiblesse, à vous : j'aime la gloire.

Dame, voyez-vous, j'aime les mœurs, j'aime la tempérance et la sobriété, tout ce qui choque ces deux vertus me révolte, et je sévis ; il faut être sévère, la sévérité est la fille de la justice... et la justice est la mère de... je vous demande bien pardon, madame, il y a des moments où quelquefois la mémoire me fait faux bond.

J'aime la pauvreté volontaire , et je vis avec des gens riches.

J'aime la majesté de votre doux sommeil,
Quand la splendeur du soir, dorant votre poil sombre,
Sur les prés rougissants où s'allonge votre ombre,
Semble aux cornes d'ébène attacher un soleil.

J'aime la mer en décembre, quand les étrangers sont partis ; mais je l'aime sobrement, bien entendu.

Mais si j'aime la voix des petites truies, il essaie de me toucher par celle de sa fille.

Cependant je sens que j'aime la monotonie des sentiments de la vie, et si j'avais encore la folie de croire au bonheur, je le chercherais dans l'habitude.

J'aime le repos de la nuit après les fatigues du jour. J'aime la contemplation solitaire après les émotions des grandes épreuves.

J'aime la nuit avec passion. Je l'aime comme on aime son pays ou sa maîtresse, d'un amour instinctif, profond, invincible. Je l'aime avec tous mes sens, avec mes yeux qui la voient, avec mon odorat qui la respire, avec mes oreilles qui en écoutent le silence.

Tant mieux ! Je ne puis supporter autour de moi, les figures tristes… les gens tristes… les cœurs tristes… J'aime la joie… Avez-vous déjeuné ?

 

samedi, 12 avril 2014

Le mauvais vitrier

vitrier(...) La première personne que j'aperçus dans la rue, ce fut un vitrier dont le cri perçant, discordant, monta jusqu'à moi à travers la lourde et sale atmosphère parisienne. Il me serait d'ailleurs impossible de dire pourquoi je fus pris à l'égard de ce pauvre homme d'une haine aussi soudaine que despotique.

« – Hé ! Hé ! » et je lui criai de monter. Cependant je réfléchissais, non sans quelque gaieté, que, la chambre étant au sixième étage et l'escalier fort étroit, l'homme devait éprouver quelque peine à opérer son ascension et accrocher en maint endroit les angles de sa fragile marchandise.

Enfin il parut : j'examinai curieusement toutes ses vitres, et je lui dis :

« – Comment ? vous n'avez pas de verres de couleur ? des verres roses, rouges, bleus, des vitres magiques, des vitres de paradis ? Impudent que vous êtes ! vous osez vous promener dans des quartiers pauvres, et vous n'avez pas même de vitres qui fassent voir la vie en beau ! »

Et je le poussai vivement dans l'escalier, où il trébucha en grognant.

Je m'approchai du balcon et je me saisis d'un petit pot de fleurs, et quand l'homme reparut au débouché de la porte, je laissai tomber perpendiculairement mon engin de guerre sur le rebord postérieur de ses crochets ; et le choc le renversant, il acheva de briser sous son dos toute sa pauvre fortune ambulatoire qui rendit le bruit éclatant d'un palais de cristal crevé par la foudre.

Et, ivre de ma folie, je lui criai furieusement : « La vie en beau ! la vie en beau ! »

Ces plaisanteries nerveuses ne sont pas sans péril, et on peut souvent les payer cher. Mais qu'importe l'éternité de la damnation à qui a trouvé dans une seconde l'infini de la jouissance ?   

 
> Le Mauvais Vitrier -  Poèmes en prose, Baudelaire (1821-1867)

mardi, 01 octobre 2013

Belle comme un jambon

L’ex-gendarme cligna d’un air goguenard, et montra le jambon que Jeannette, sa jolie servante, apportait.

— Ça vous réveille, un joli morceau comme celui-là ? dit le maire ; c’est fait à la maison ! il est entamé d’hier…

— Mon compère, je ne vous connaissais pas celle-là ? Où l’avez-vous pêchée ? dit l’ancien bénédictin à l’oreille de Soudry.

— Elle est comme le jambon, répondit le gendarme en recommençant à cligner ; je l’ai depuis huit jours.

Jeannette, encore en bonnet de nuit, en jupe courte, pieds nus dans des pantoufles, ayant passé ce corps de jupe fait comme une brassière, à la mode dans la classe paysanne, et sur lequel elle ajustait un foulard croisé qui ne cachait pas entièrement de jeunes et frais trésors, ne paraissait pas moins appétissante que le jambon. Petite, rondelette, elle laissait voir ses bras nus pendants, marbrés de rouge, au bout desquels de grosses mains à fossettes, à doigts courts et bien façonnés du bout, annonçaient une riche santé. C’était la vraie figure bourguignotte, rougeaude, mais blanche aux tempes, au col, aux oreilles ; les cheveux châtains, le coin de l’œil retroussé vers le haut de l’oreille, les narines ouvertes, la bouche sensuelle, un peu de duvet le long des joues ; puis une expression vive, tempérée par une attitude modeste et menteuse qui faisait d’elle un modèle de servante friponne.

Balzac, les Paysans

17:08 Publié dans / Balzac | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : balzac, jambon, les paysans

mardi, 25 juin 2013

La mitrailleuse à gifles - Henri Michaud

 C’est dans la vie de famille, comme il fallait s’y attendre, que je réalisai la mitrailleuse à gifles. Je la réalisai, sans l’avoir méditée. Ma colère tout à coup se projeta hors de ma main, comme un gant de vent qui en serait sorti, comme deux, trois, quatre, dix gants, des gants d’effluves qui, spasmodiquement, et terriblement vite se précipitèrent de mes extrémités manuelles, filant vers le but, vers la tête odieuse qu’elles atteignirent sans tarder.

 Ce dégorgement répété de la main était étonnant. Ce n’était vraiment plus un gifle, ni deux. Je suis d’un naturel réservé et ne m’abandonne que pour le précipice de la rage.

 Véritable éjaculation de gifles, éjaculation en cascade et à soubresauts, ma main restant rigoureusement immobile.

 Ce jour-là, je touchai la magie.

 Un sensible eût pu voir quelque chose. Cette sorte d’ombre électrique jaillissant spasmodiquement de l’extrémité de ma main, rassemblée et se reformant en un instant.

 Pour être tout à fait franc, la cousine qui m’avait raillé venait d’ouvrir la porte et de sortir, quand réalisant brusquement la honte de l’offense, je répondis à retardement par une volée de gifles qui, véritablement, s’échappèrent de ma main.

 J’avais trouvé la mitrailleuse à gifles, si je puis dire, mais rien ne le dit mieux.

 Ensuite je ne pouvais plus voir cette prétentieuse sans que gifles comme guêpes ne filassent de ma main vers elle.

 Cette découverte valait bien d’avoir subi ses odieux propos. C’est pourquoi je conseille parfois la tolérance à l’intérieur de la famille.

 

Henri Michaux - Liberté d’action