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mardi, 01 octobre 2013

Belle comme un jambon

L’ex-gendarme cligna d’un air goguenard, et montra le jambon que Jeannette, sa jolie servante, apportait.

— Ça vous réveille, un joli morceau comme celui-là ? dit le maire ; c’est fait à la maison ! il est entamé d’hier…

— Mon compère, je ne vous connaissais pas celle-là ? Où l’avez-vous pêchée ? dit l’ancien bénédictin à l’oreille de Soudry.

— Elle est comme le jambon, répondit le gendarme en recommençant à cligner ; je l’ai depuis huit jours.

Jeannette, encore en bonnet de nuit, en jupe courte, pieds nus dans des pantoufles, ayant passé ce corps de jupe fait comme une brassière, à la mode dans la classe paysanne, et sur lequel elle ajustait un foulard croisé qui ne cachait pas entièrement de jeunes et frais trésors, ne paraissait pas moins appétissante que le jambon. Petite, rondelette, elle laissait voir ses bras nus pendants, marbrés de rouge, au bout desquels de grosses mains à fossettes, à doigts courts et bien façonnés du bout, annonçaient une riche santé. C’était la vraie figure bourguignotte, rougeaude, mais blanche aux tempes, au col, aux oreilles ; les cheveux châtains, le coin de l’œil retroussé vers le haut de l’oreille, les narines ouvertes, la bouche sensuelle, un peu de duvet le long des joues ; puis une expression vive, tempérée par une attitude modeste et menteuse qui faisait d’elle un modèle de servante friponne.

Balzac, les Paysans

17:08 Publié dans / Balzac | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : balzac, jambon, les paysans

mardi, 07 août 2012

Bibliophile et bibliomane

L'amateur de livres

par Charles Nodier

Sur les quais - l'amateur de livres

«  Le bibliophile sait choisir les livres ; le bibliomane les entasse. Le bibliophile joint le livre au livre, après l'avoir soumis à toutes les investigations de ses sens et d.e son intelligence ; le bibliomane culasse les livres les uns sur les autres sans les regarder. Le bibliophile  apprécie le livre, le bibliomane le pèse ou le mesure. Le bibliophile procède avec une loupe,  et le bibliomane avec une toise. J'en connais  certains qui supputent les enrichissements de leur bibliothèque par mètres carrés. L'innocente  et délicieuse fièvre du bibliophile est, dans le bibliomane, une maladie aiguë poussée au lire. Parvenue à ce degré fatal de paroxysme,  elle n'a plus rien d'intelligent, et se confond  avec toutes les manies. Je ne sais pas si les phrénologistes, qui ont découvert tant de sottises, ont découvert jusqu'ici dans l'enveloppe osseuse de notre pauvre cervelle l'instinct de  collectivité, si développé dans plusieurs pauvres diables de ma connaissance. J'en ai vu un, dans ma jeunesse, qui faisait collection de bouchons de liège, anecdotiques ou historiques, et  qui les avait rangés par ordre, dans son immense galetas, sous des étiquettes instructives, avec indication de l'époque plus ou moins solennelle ils avaient été extraits de la bouteille; exemplum ut: « M. LE MAIRE, CHAMPAGNE MOUSSEUX DE PREMIÈRE QUALITÉ; NAISSANCE DE SA MAJESTÉ LE ROI DE ROME. »

Le bibliomane doit avoir à peu près la même protubérance. Du sublime au ridicule, il n'y a qu'un pas. Du bibliophile au bibliomane, il n'y a qu'une crise. Le bibliophile devient souvent bibliomane, quand son esprit décroit ou quand sa fortune s'augmente, deux graves inconvénients auxquels les plus honnêtes gens sont exposés : mais le premier est bien plus commun que l'autre. »

L'amateur de Livres
Les Français peints par eux-mêmes
-
Encyclopédie morale du dix-neuvième siècle
. T1
Paris : Louis Curmer éditeur, 49, rue de Richelieu, 1840-1842.- 9 volumes.

 

jeudi, 13 janvier 2011

La canne de M. de Balzac

On donnait Robert le Diable ce jour-là. Tancrède alla se placer à une stalle de l'orchestre; mais à peine il était assis, qu'un objet étrange attira ses regards.

Sur le devant d'une loge d'avant-scène se pavanait une canne. —Était-ce bien une canne? Quelle énorme canne ! à quel géant appartient cette grosse canne ?

Sans doute c'est la canne colossale d'une statue colossale de M. de Voltaire. Quel audacieux s'est arrogé le droit de la porter?

Tancrède prit sa lorgnette et se mit à étudier cette canne-monstre.—Cette expression est reçue: nous avons eu le concert-monstre, le procès-monstre, le budget-monstre.

Tancrède aperçut alors au front de cette sorte de massue, des turquoises, de l'or, des ciselures merveilleuses; et derrière tout cela, deux grands yeux noirs plus brillants que les pierreries.

La toile se leva; le second acte commença, et l'homme—qui appartenait à cette canne—s'avança pour regarder la scène.

— Pardon, monsieur, dit Tancrède à son voisin; oserais-je vous demander le nom de ce monsieur qui porte de si longs cheveux?

— C'est M. de Balzac.
— Lequel ? l'auteur de la Physiologie du Mariage ?
— L'auteur de la Peau de Chagrin, d'Eugénie Grandet, du Père Goriot.
— Ah ! Monsieur, je vous remercie mille fois.

Tancrède se mit de nouveau à lorgner M. de Balzac et sa canne.

Mais cette canne le préoccupait.

— Comment, se disait-il, un homme aussi spirituel a-t-il une si vilaine canne?—Peut-être contient-elle un parapluie; il y a un mystère là-dessous.

La Canne de M. de Balzac,  Mme Émile de Girardin

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A partir de 1834,  Balzac exhiba une canne  en jonc dont la monture à " ébullition de turquoises" ( très féminines) et " à pomme d'or ciselée " fut commandée à l'orfèvre et joaillier parisien, Lecointe.  Selon Octave mirbeau, " il disait – le dindon – que la pomme avait été ciselée dans l'or fondu des bracelets de ses amies..."

Ce bâton  de maréchal littéraire  en agaça plus d'un. En  1835, il écrit à Madame Hanska : " Vous ne sauriez imaginez quel succès a eu ma Canne, ce bijou qui menace d’être européen.  Revenu d’Italie, Borget me contait en riant, qu’en en parlait à Naples et à Rome. Tout le dandysme de Paris en a été jaloux. Pardonnez-moi, mais il paraît que ce sera matière à biographie ! "

16:34 Publié dans G/H | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : canne, balzac