vendredi, 25 septembre 2015
A la bonne heure !
– « Ah, je n'aurais jamais espéré que vous viendriez... »
– « Pourquoi donc ? » répondit-elle avec un air de candeur étonnée. « Vous me croyez donc bien incapable de me lever matin ? Mais quand je vais visiter mes pauvres, je suis debout et habillée dès les huit heures...» Et ce fut dit !... Sur un ton à la fois modeste et gai, – celui d'une personne qui ne croit pas raconter d'elle-même quelque chose d'extraordinaire, tant il me semble naturel d'être ainsi; le ton d'un officier qui dirait :«Quand nous chargions l'ennemi.... » Le plaisant était que de sa vie elle n'avait hasardé la pointe de son pied dans un intérieur de pauvre. Elle avait horreur de la misère comme de la maladie, comme de la vieillesse, et son égoïsme élégant ignorait presque l'aumône. Mais celui qui, en ce moment, aurait dévoilé cette égoïsme à René lui aurait paru le plus infâme des blasphémateurs.
Paul Bourget, Mensonges, p. 191
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jeudi, 04 juin 2015
« Elle me résistait.... je l'ai assassinée ! »
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«Antony n'est point un drame, Antony n'est point une tragédie, Antony n'est point une pièce de théâtre, Antony est une scène d'amour, de jalousie, de colère, en cinq actes.» Alexandre Dumas
ANTONY.
Tous les chevaux s'emportent.... dans les livres. Vous sautez à leur tète, ils vous écrasent sous leurs pieds.
A partir de ce moment, on ne se rappelle plus rien... Quand on se réveille, on est tout étonné de se trouver dans une chambre éclairée d'un jour pâle, avec une comtesse qui vous embrasse.
C'est la grande dame de la voiture, la femme du vieux général en tournée, la veuve de Pondichéry. Connu, l'enfant « qui na pas eu de mère. »
Mais, à partir d'Antony, l'enfant abandonné se fâche ; il ne geint point, ne pleurniche plus — il sauve, il aime, il tue !
« Elle me résistait.... JE L'AI ASSASSINÉE ! »
Cri admirable, du reste, qu'on voudrait pousser rouge du sang d'Adèle, devant le mari, les gendarmes et le reste....
Dire cela et mourir !.
Jules Vallès,
Les victimes du livre in Les Réfractaires.
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dimanche, 10 mai 2015
Tempérance
— Vous l’avez vu, vous, après la chose.., n’est-ce pas, monsieur Durand ? car moi, j’étais allé à Saint-Pol.
— Sûr que je l’ai vu. Figure-toi, mon garçon, qu’on vient me dire : Monsieur Durand, ça sent le brûlé chez M. Kernok, mais un drôle de brûlé ! Il était, ma foi, huit heures du matin, et personne n’osait entrer dans sa chambre ; ils sont si bêtes ! J’y entre, moi, mon garçon, et… Ah ! mon Dieu ! tiens, donne-moi à boire, car ça me fait mal toutes les fois que j’y pense. » Il se remit un peu par un large trait d’eau-de-vie, et continua : « J’y entre, et figure-toi que je manque d’être suffoqué en voyant le corps de mon pauvre vieux Kernok tout couvert d’une large flamme bleue qui courait de la tête aux pieds, tout juste comme la flamme du punch. Je m’approchai, je jetai de l’eau ; bah ! il brûlait plus fort, car il était à moitié cuit. » Grain-de-Sel pâlit.
« Ça t’étonne, mon garçon : eh bien, moi, je m’y attendais, je l’avais prédit.
— Prédit !…
— Oui. Il buvait trop d’eau-de-vie, et je lui disais toujours : Mon vieux camarade, tu finiras par une concustion invantanée », dit maître Durand avec importance, en appuyant sur chaque mot et en gonflant ses joues.
Il voulait dire une combustion instantanée, solution exacte et vraie de la mort de Kernok, donnée par un médecin de Quimper, fort habile homme, qu’on avait mandé un peu tard.
« Et ça ne vous fait pas trembler, monsieur Durand ? » dit Grain-de-Sel, qui voyait avec peine l’ex-canonnier-chirurgien-charpentier prendre la même direction que son défunt capitaine.
« Moi, c’est bien différent, mon garçon, je coupe mon eau-de-vie avec du vin, et il la buvait pure, le vieux lascar.
— Ah !… répondit Grain-de-Sel, peu convaincu de la tempérance de M. Durand.
Kernok le pirate - 1830 - Le texte sur Wikisource
Eugène Sue
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Les ferments du concubinage
" Ce sont les fallacieux rosbifs et les illusoires gigots cuits au four des restaurants qui développent les ferments du concubinage dans l’âme ulcérée des vieux garçons."
Joris-Karl Huysmans, Croquis parisiens (1890)
Le poème en prose des viandes cuites au four.
Ce sont les fallacieux rosbifs et les illusoires gigots cuits au four des restaurants qui développent les ferments du concubinage dans l’âme ulcérée des vieux garçons.
Le moment est venu où la viande tiède et rose, sentant l’eau, écœure. Sept heures sonnent. Le célibataire cherche la table où il se place d’habitude dans sa gargote coutumière et il souffre de la voir occupée déjà. Il retire du casier pendu au mur sa serviette tachée de vin et, après avoir échangé des propos sans intérêt avec les clients voisins, il parcourt l’invariable carte et s’assied, morose, devant le potage que le garçon apporte, en y lavant, tous les soirs, un pouce.
L’humble dépense de son dîner s’accroît maintenant, pour agacer l’appétit interrompu, d’inutiles suppléments de salades durement vinaigrées et d’un demi-siphon d’eau de Seltz.
C’est alors qu’après avoir avalé sa soupe, tout en roulant dans une quotidienne sauce rousse les tronçons filandreux d’un aloyau sans suc, le célibataire cherche à endormir l’horrible dégoût qui lui serre le gosier et lui fait lever le cœur.
Une première vision l’obsède tandis qu’il regarde, sans le lire, le journal qu’il a tiré de ses poches. Il se rappelle une jeune fille qu’il aurait pu épouser, il y a dix ans ; il se voit uni avec elle, mangeant de robustes viandes et buvant de francs bourgognes, mais le revers se montre aussitôt et alors se déroulent devant son esprit chagrin les étapes d’un affreux mariage. Il s’imagine assister, au sein de sa nouvelle famille, à l’échange persistant des idées niaises et aux interminables parties de loto égayées par l’énumération des vieux sobriquets qu’on donne aux chiffres. Il se voit aspirant après son lit et supportant, une fois couché, les attaques répétées d’une épouse grincheuse ; il se voit, en habit noir, au milieu d’un bal, l’hiver, arrêté dans le somme qu’il préparait par le coup d’œil furieux de sa femme qui danse ; il s’entend reprocher, une fois rentrés, la maussade attitude qu’il a tenue dans le coin des portes, il s’entend tout d’un coup enfin traité justement par le monde de cocufié...... et le dîneur absorbé frémit et mange avec plus de résignation une bouchée de l’affligeant fricot qui se fige sur son assiette.
Mais, tout en mâchant l’insipide et coriace viande, tout en souffrant des aigres renvois que procure l’eau de Seltz, la tristesse du célibat lui revient et il songe, cette fois, à une bonne fille qui serait lasse d’une vie de hasard et qui voudrait s’assurer un sort ; il songe à une femme déjà mûre dont les amoureuses fringales auraient pris fin, à une maternelle et rustaude compagne qui accepterait, en échange de la pâtée et de la niche, toutes ses vieilles habitudes, toutes ses vieilles manies.
Pas de famille à visiter, pas de bals à subir, le couvert mis tous les jours chez soi à la même heure, le cocuage devenu sans importance, peu de chances, en somme, d’enfanter des mômes qui piaillent sous le prétexte qu’ils font des dents et, accélérée par le dégoût sans cesse croissant du repas pris au dehors, l’idée d’un collage devient plus impérieuse et plus fixe et le célibataire sombre, corps et biens, apercevant dans un lointain mirage un joyeux tourne-broche, rouge comme un soleil, devant lequel passent lentement, jutant à grosses gouttes, de tout-puissants rumsteck.
Ce sont les fallacieux rosbifs et les illusoires gigots cuits au four des restaurants qui développent les ferments du concubinage dans l’âme ulcérée des vieux garçons.
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Le voleur de melon
Jean Aicard
L’Illustre Maurin / Chapitre XLIII
Dix minutes plus tard, les bavardages battaient leur plein, et le juge, sourd aux reproches de sa conscience, attaquait une seconde tranche de melon, lorsque la voix de Pastouré éclata, terrible, sous un bouquet de pins, dans les bruyères voisines. Parlo-Soulet semblait furieux :
« O bourreau ! hurlait-il à tue-tête, canaille ! voleur ! forçat ! brigand ! tu te crois peut-être de t’échapper ! mais je te tiens, puisque je te vois ! et tu ne m’échapperas pas ! C’est toi qui as volé les melons ! c’est toi peut-être qui les as mangés ! Si tu les as volés pour les manger, passe encore ! mais, bandit ! assassin ! si tu les as vendus, je me plaindrai chez le juge ! Les juges ne plaisantent pas ! tu irais en galère, gueusard ! enfant de gueuse ! »
Ainsi les injures se précipitaient…
« Cet homme va faire un malheur ! Allez donc voir, maître Maurin, s’écria le juge… Allons-y, messieurs.
– Ne vous troublez pas, fit Maurin tranquillement, vu qu’il n’y a pas de quoi… Je sais ce que c’est… »
La voix de Pastouré n’avait pas cessé de tonitruer :
« Réactionnaire ! mendiant ! royaliste ! marrias ! conservateur ! féna ! clérical ! voleur ! canaille ! J’aurai ta peau ! attends un peu ! attends-moi seulement ! »
Le juge se leva, vraiment ému.
« Je ne souffrirai pas, dit-il, qu’à deux pas de moi… À qui en a-t-il enfin ?
– Laissez donc, dit Maurin, négligemment – laissez-le faire : je sais ce que c’est : il insulte un lapin ! »
Un coup de fusil ponctua et termina la longue invective de Pastouré, qui arriva presque aussitôt et jeta un lapin aux pieds de Mme Labarterie.
Jean Aicard
L’Illustre Maurin / Chapitre XLIII
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vendredi, 01 mai 2015
Perruque
La perruque d'Antoine Watteau
Perruque
Un perruquier lui apporta une perruque naturelle, qui n'avoit rien de recommandable, mais dont cependant il fut enchanté. Elle lui parut le chef-d'œuvre de l'imitation de la nature. Certainement, ce n'étoit pas celui de la nature frizée ; car je la vois d'ici dans toute sa longueur et toute sa platitude. Il en demanda le prix ; mais le perruquier, plus fin que lui, l'assura qu'il seroit trop content s'il vouloit lui donner quelque chose de sa façon. Quelques études l'auroient satisfait. Wateau crut n'avoir jamais fait un si bon marché, et proportionnant son présent au bonheur de sa possession, il lui donna deux petits tableaux pendans, et peut-être des plus piquans qu'il ait fait. J'arrivai peu de tems après la conclusion de cette bonne affaire. En vérité il en avoit du scrupule. Il vouloit encore faire un tableau pour le perruquier, et ce fut avec peine que je rassurai sa conscience.
La vie d’Antoine Watteau, Comte de Caylus
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lundi, 17 novembre 2014
Ah ! ce nom de Dieu de Jésus-Christ ! Quel boyau ! A lui la médaille !"
" Jésus –Christ était là avec le petit Sabot, de Brinqueville, un vigneron, un autre farceur renommé, qui ventait, lui aussi, à faire tourner les moulins. Donc, tous les deux, se rencontrant, venaient de parier dix litres, à qui éteindrait le plus de chandelles. Excités, secoués de gros rires, des amis les avaient accompagnées dan s la salle du fond. On faisait cercle, l’un fonctionnait à droite, l’autre à gauche, culotte bas, le derrière braqué, éteignant chacun la sienne à tous coups. Pourtant, Sabot en était à dix et Jésus-Christ à neuf, ayant une fois manqué d’haleine. Il s’en montrait très vexé, sa réputation était en jeu. Hardi là ! est-ce que Rognes se lasserait battre par Brinqueville ? Et il souffla comme jamais soufflet de forge n’avait soufflé : neuf ! dix ! onze ! douze ! Le tambour de Cloyes qui rallumait la chandelle, faillit lui-même être emporté. Sabot péniblement, arrivait à dix, vidé aplati, lorsque Jésus-Christ, triomphant, en lâcha deux encore, en criant au tambour de les allumer, ceux-là pour le bouquet. Le tambour les alluma, ils brûlèrent jaune, d’une belle flamme jaune, couleur d’or, qui monta comme un soleil dans sa gloire.
- Ah ! ce nom de Dieu de Jésus-Christ ! Quel boyau ! A lui la médaille !"
Émile Zola —. La Terrre - les Rougon-Macquart
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