Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

jeudi, 24 mai 2012

Duc de Vendôme

Étant sur sa chaise percée, il dit à son valet de chambre : « Pourquoi ne me rases-tu pas ? — Monseigneur, c'est que votre bassin à barbe est sous vous. » Gaignières

220px-Louis_joseph_duke_of_vend%C3%B4me.jpg « Sa saleté était extrême ; il en tirait vanité : les sots le trouvaient un homme simple. Il était plein de chiens et de chiennes dans son lit, qui y faisaient leurs petits à ses côtés. Lui-même ne s'y contraignait de rien. Une de ses thèses était que tout le monde en usait de même, mais n'avait pas la bonne foi d'en convenir comme lui ; il le soutint un jour à Mme la princesse de Conti, la plus propre personne du monde, et la plus recherchée dans sa propreté.

Il se levait assez tard à l'armée, se mettait sur sa chaise percée, y faisait ses lettres, et y donnait ses ordres du matin. Qui avait affaire à lui, c'est-à-dire pour les officiers généraux et les gens distingués, c'était le temps de lui parler. Il avait accoutumé l'armée à cette infamie. Là, il déjeunait à fond, et souvent avec deux ou trois familiers, rendait d'autant, soit en mangeant, soit en écoutant ou en donnant ses ordres, et toujours force spectateurs debout. (Il faut passer ces honteux détails pour le bien connaître.) Il rendait beaucoup; quand le bassin était plein à répandre, on le tirait et on le passait sous le nez de toute la compagnie pour l'aller vider, et souvent plus d'une fois. Les jours de barbe, le même bassin dans lequel il venait de se soulager servait à lui faire la barbe. C'était une simplicité de moeurs, selon lui, digne des premiers Romains, et qui condamnait tout le faste et le superflu des autres. Tout cela fini, il s'habillait, puis jouait gros jeu au piquet ou à l'hombre, ou s'il fallait absolument monter à cheval pour quelque chose, c'en était le temps. L'ordre donné au retour, tout était fini chez lui. Il soupait avec ses familiers largement; il était grand mangeur, d'une gourmandise extraordinaire, ne se connaissait à aucun mets, aimait fort le poisson, et mieux le passé et souvent le puant que le bon. La table se prolongeait en thèses, en disputes, et par-dessus tout, louanges, éloges, hommages toute la journée et de toutes parts.

 

Mémoires de Louis de Rouvroy, duc de Saint-Simon

Tome 5 chapitre VIII - 1706

 

Duc, pair de France et courtisan, Saint-Simon vécut à la charnière du " grand siècle "» et de celui des " lumières ". Il observa la cour de Versailles et les "grands "  qui la hantaient . C'est vers 1739 qu'il entama la véritable rédaction de ses Mémoires qui, après avoir été saisis et circulés sous le manteau, ne paraîtront en édition complète qu’en 1829-1830.