mardi, 03 juillet 2012
Avis aux jeunes ménages
Henri Michaux
Dès qu'on oublie ce que sont les hommes, on se laisse aller à leur vouloir du bien. C'est pourquoi, sans doute, on conseille de se recueillir de temps à autre, de faire retraite.
Qui n'a pas de femmes ne songe qu'à les caresser. Qui femme a, la caresse, mais ne songe qu'à la battre. Eh bien, qu'il la batte... pourvu qu'elle ne s'en aperçoive pas.
Cependant mieux vaut encore la tuer. Après, ça ira mieux. Vous vous sentirez plus d'aplomb comme si vous veniez de fumer une bonne pipe, une vraie bonne pipe. Elle aussi d'ailleurs et elle vous appréciera davantage, vous trouvant moins préoccupé, plus vivant, plus aimable, car vous le serez, c'est immanquable. Mais il faudra peut-être la retuer de temps en temps. La paix dans le ménage est à ce prix.
Vous le savez maintenant. Vous ne pouvez plus reculer...
D'ailleurs, elle-même vous tue peut-être depuis le premier jour que vous avez passé ensemble. Pour une femme un peu délicate, un peu nerveuse, c'est presque un besoin.
Henri Michaux
Liberté d’action ( La vie dans les plis )
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dimanche, 24 juin 2012
Humiliation
Un soldat en cage
Un soldat du régiment de la milice de l'Ohio nommé Dearth, ayant été convaincu de lâcheté, vient d'être littéralement mis en cage à Columbus.
Lorsque, à l'époque de la grève des mineurs, il y a quelques mois. Le gouverneur de l'Ohio, M. Mac Kinley. appela le régiment de milice sous les armes et lui donna ordre de se rendre dans le comté de Relmont pour y réprimer les émeutes qui venaient, d'y éclater, Dearth, qui habitait à Colombus, quitta précipitamment la ville et se déroba.
Traduit depuis devant un conseil de guerre, Dearth a été déchiré coupable de lâcheté et condamné à subir quinze jours d'emprisonnement et à être expulsé de son régiment.
Or, les autorités civiles étaient opposées, parait-il à ce que Dearth fût enfermé dans la prison de la ville pour y subir sa peine. On s'est décidé alors à construire, au milieu de la salle d'armes du 14e régiment, une cage en fer de neuf pieds de long sur six de large, et Dearth y a été enfermé pour quinze jours sous la surveillance constante d'un autre soldat.
On ne lui permettait d'en sortir que quelques instants par jour pour prendre un peu d'exercice dans la salle même. Et ses anciens camarades étaient obligés de passer devant sa cage chaque fois qu'ils se rendaient à la salle d'armes.
Le Journal des voyages – 1895 p. 192
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Brosse à dents
" Ce médecin était un homme de belle prestance, qui possédait de magnifiques favoris d’un noir de goudron, une femme jeune et bien portante, mangeait le matin des pommes fraîches, et tenait sa bouche dans une propreté extrême, se la rinçant chaque matin trois quarts d’heure durant, et se nettoyant les dents avec cinq espèces différentes de brosses. "
Le Nez - 1835
Nikolaï Gogol
Traduction du russe par Léon Golschmann et Ernest Jaubert, 1896
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vendredi, 22 juin 2012
Dire merde et mourir
"C’est le grand mot. Le gros mot consiste à dire merde. Le grand mot, c’est : dire-merde-et-mourir, un tout mot-mort, héroïque dans son tout, un lot héroïque : « dire ce mot, et mourir ensuite, quoi de plus grand ! » Il convient, quand on a dit merde, comme Cambronne, qu’on meure. "
Quelques carrés de la garde, immobiles dans le ruissellement de la déroute comme des rochers dans de l’eau qui coule, tinrent jusqu’à la nuit. La nuit venant, la mort aussi, ils attendirent cette ombre double, et, inébranlables, s’en laissèrent envelopper. Chaque régiment, isolé des autres et n’ayant plus de lien avec l’armée rompue de toutes parts, mourait pour son compte. Ils avaient pris position, pour faire cette dernière action, les uns sur les hauteurs de Rossomme, les autres dans la plaine de Mont-Saint-Jean. Là, abandonnés, vaincus, terribles, ces carrés sombres agonisaient formidablement. Ulm, Wagram, Iéna, Friedland, mouraient en eux.
Au crépuscule, vers neuf heures du soir, au bas du plateau de Mont-Saint-Jean, il en restait un. Dans ce vallon funeste, au pied de cette pente gravie par les cuirassiers, inondée maintenant par les masses anglaises, sous les feux convergents de l’artillerie ennemie victorieuse, sous une effroyable densité de projectiles, ce carré luttait. Il était commandé par un officier obscur nommé Cambronne. À chaque décharge, le carré diminuait, et ripostait. Il répliquait à la mitraille par la fusillade, rétrécissant continuellement ses quatre murs. De loin les fuyards, s’arrêtant par moment, essoufflés, écoutaient dans les ténèbres ce sombre tonnerre décroissant.
Quand cette légion ne fut plus qu’une poignée, quand leur drapeau ne fut plus qu’une loque, quand leurs fusils épuisés de balles ne furent plus que des bâtons, quand le tas de cadavres fut plus grand que le groupe vivant, il y eut parmi les vainqueurs une sorte de terreur sacrée autour de ces mourants sublimes, et l’artillerie anglaise, reprenant haleine, fit silence. Ce fut une espèce de répit. Ces combattants avaient autour d’eux comme un fourmillement de spectres, des silhouettes d’hommes à cheval, le profil noir des canons, le ciel blanc aperçu à travers les roues et les affûts ; la colossale tête de mort que les héros entrevoient toujours dans la fumée au fond de la bataille, s’avançait sur eux et les regardait. Ils purent entendre dans l’ombre crépusculaire qu’on chargeait les pièces, les mèches allumées pareilles à des yeux de tigre dans la nuit firent un cercle autour de leurs têtes, tous les boute-feu des batteries anglaises s’approchèrent des canons, et alors, ému, tenant la minute suprême suspendue au-dessus de ces hommes, un général anglais, Colville selon les uns, Maitland selon les autres, leur cria : Braves français, rendez-vous ! Cambronne répondit : Merde !
Les Misérables - Victor Hugo.
Tome II, Livre premier, chapitre XIV
"Dire ce mot, et mourir ensuite, quoi de plus grand ? car c’est mourir que de le vouloir, et ce n’est pas la faute de cet homme, si, mitraillé, il a survécu." (Hugo)
CAMBRONNE
Le lecteur français voulant être respecté, le plus beau mot peut-être qu’un français ait jamais dit ne peut lui être répété. Défense de déposer du sublime dans l’histoire.
À nos risques et périls, nous enfreignons cette défense.
Donc, parmi tous ces géants, il y eut un titan, Cambronne.
Dire ce mot, et mourir ensuite, quoi de plus grand ? car c’est mourir que de le vouloir, et ce n’est pas la faute de cet homme, si, mitraillé, il a survécu.
L’homme qui a gagné la bataille de Waterloo, ce n’est pas Napoléon en déroute, ce n’est pas Wellington pliant à quatre heures, désespéré à cinq, ce n’est pas Blücher qui ne s’est point battu ; l’homme qui a gagné la bataille de Waterloo, c’est Cambronne.
Foudroyer d’un tel mot le tonnerre qui vous tue, c’est vaincre.
Faire cette réponse à la catastrophe, dire cela au destin, donner cette base au lion futur, jeter cette réplique à la pluie de la nuit, au mur traître de Hougomont, au chemin creux d’Ohain, au retard de Grouchy, à l’arrivée de Blücher, être l’ironie dans le sépulcre, faire en sorte de rester debout après qu’on sera tombé, noyer dans deux syllabes la coalition européenne, offrir aux rois ces latrines déjà connues des césars, faire du dernier des mots le premier en y mêlant l’éclair de la France, clore insolemment Waterloo par le mardi gras, compléter Léonidas par Rabelais, résumer cette victoire dans une parole suprême impossible à prononcer, perdre le terrain et garder l’histoire, après ce carnage avoir pour soi les rieurs, c’est immense.
C’est l’insulte à la foudre. Cela atteint la grandeur eschylienne.
Le mot de Cambronne fait l’effet d’une fracture. Qu’est la fracture d’une poitrine par le dédain ; c’est le trop plein de l’agonie qui fait explosion. Qui a vaincu ? Est-ce Wellington ? Non. Sans Blücher il était perdu. Est-ce Blücher ? Non. Si Wellington n’eût pas commencé, Blücher n’aurait pu finir. Ce Cambronne, ce passant de la dernière heure, ce soldat ignoré, cet infiniment petit de la guerre, sent qu’il y a là un mensonge, un mensonge dans une catastrophe, redoublement poignant, et, au moment où il en éclate de rage, on lui offre cette dérision : la vie ! Comment ne pas bondir ? Ils sont là, tous les rois de l’Europe, les généraux heureux, les Jupiters tonnants, ils ont cent mille soldats victorieux, et derrière les cent mille, un million, leurs canons, mèche allumée, sont béants, ils ont sous leurs talons la garde impériale et la grande armée, ils viennent d’écraser Napoléon, et il ne reste plus que Cambronne ; il n’y a plus pour protester que ce ver de terre. Il protestera. Alors il cherche un mot comme on cherche une épée. Il lui vient de l’écume, et cette écume, c’est le mot. Devant cette victoire prodigieuse et médiocre, devant cette victoire sans victorieux, ce désespéré se redresse ; il en subit l’énormité, mais il en constate le néant ; et il fait plus que cracher sur elle ; et sous l’accablement du nombre, de la force et de la matière, il trouve à l’âme une expression, l’excrément. Nous le répétons. Dire cela, faire cela, trouver cela, c’est être le vainqueur.
L’esprit des grands jours entra dans cet homme inconnu à cette minute fatale. Cambronne trouve le mot de Waterloo comme Rouget de l’Isle trouve la Marseillaise, par visitation du souffle d’en haut. Un effluve de l’ouragan divin se détache et vient passer à travers ces hommes, et ils tressaillent, et l’un chante le chant suprême et l’autre pousse le cri terrible. Cette parole du dédain titanique, Cambronne ne la jette pas seulement à l’Europe au nom de l’empire, ce serait peu ; il la jette au passé au nom de la révolution. On l’entend, et l’on reconnaît dans Cambronne la vieille âme des géants. Il semble que c’est Danton qui parle ou Kléber qui rugit.
Au mot de Cambronne, la voix anglaise répondit : feu ! les batteries flamboyèrent, la colline trembla, de toutes ces bouches d’airain sortit un dernier vomissement de mitraille épouvantable ; une vaste fumée, vaguement blanchie du lever de la lune, roula, et, quand la fumée se dissipa, il n’y avait plus rien. Ce reste formidable était anéanti, la garde était morte. Les quatre murs de la redoute vivante gisaient, à peine distinguait-on çà et là un tressaillement parmi les cadavres ; et c’est ainsi que les légions françaises, plus grandes que les légions romaines, expirèrent à Mont-Saint-Jean sur la terre mouillée de pluie et de sang, dans les blés sombres, à l’endroit où passe maintenant à quatre heures du matin, en sifflant et en fouettant gaîment son cheval, Joseph, qui fait le service de la malle-poste de Nivelles.
Les Misérables - Victor Hugo.
Tome II, Livre premier, chapitre XV
Les Misérables - Livre premier - Waterloo ( Wikisource )
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jeudi, 21 juin 2012
Lutte anti-tabac
Vous pouvez préférer les patchs aux bulles; et une consultation auprès d'un tabacologue à l'excommunication.
Bulle du pape Urbain VIII - 1642.
" Nous avons appris depuis peu que la mauvaise habitude de prendre par la bouche ou le nez l’herbe appelée vulgairement tabac, s’est tellement répandue dans plusieurs diocèses, que les personnes des deux sexes, même les prêtres et les clercs, autant les séculiers que les réguliers, oubliant la bienséance qui convient à leur rang, en prennent partout et principalement dans les églises de la ville et du diocèse d’Hispale (Séville), et ce dont nous rougissons, en célébrant le très-saint sacrifice de la messe : ils souillent les linges sacrés de ces humeurs dégoutantes que le tabac provoque, ils infectent nos temples d’une odeur repoussante, au grand scandale de leurs frères qui persévèrent dans le bien, et semblent ne point craindre l’irrévérence des choses saintes.
« Tout cela fait que voulant, dans notre sollicitude, écarter des temples de Dieu un abus si scandaleux, de notre autorité apostolique et par la teneur des présentes, nous interdisons et défendons à tous en général et à chacun en particulier, aux personnes de tout sexe, aux séculiers, aux ecclésiastiques, à tous les ordres religieux, à tous ceux faisant partie d’une institution religieuse quelconque, de prendre dans la suite sous les portiques et dans l’intérieur des églises, du tabac, soit en le mâchant, en le fumant dans des pipes, ou en le prenant en poudre par le nez ; enfin, de n’en user de quelque manière que ce soit. Si quelqu’un contrevient à ces dispositions, qu’il soit excommunié. "
in C. Barbier, Histoire du tabac, Paris, G. Havard, 1861.
> "Génèse d'une épidémie" par Marc Kirsch - Lettre du Collège de France - Revues.org - Hors-série : le Tabac
La tabatière anatomique
11:56 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : tabac, bulle, pape, urbain viii, revues.org, lettre du collège de france
mercredi, 20 juin 2012
Les pommes
Adam et Ève vivaient heureux dans les jardins d'Éden, mais ils n'arrivaient pas à comprendre pourquoi Dieu leur interdisait de goûter à la Merde de la Connaissance, et d'abord, cette merde avait-elle bon goût ? Son fumet semblaient prometteur... Adam parvenait encore à l'oublier, mais Ève en devenait positivement chèvre.
Le serpent ne cessait de lui rabâcher :
― Ah, la Merde... il n'y a rien de tel ! Une fois qu'on y a mordu on ne peut plus s'en passer.
À la fin, la pauvre femme n'y tînt plus. Elle noua bravement une serviette autour de son cou et dégusta le plat défendu, quelle trouva fameux. Comme elle avait bon cœur, elle fit lécher la cuillère à son mari qui en redemanda. À ce moment une voix tremble terrible tonna. Sa voix.
― Malheureux ! Où avez-vous pris cette Merde ?
― Mais, balbutia Ève, c'est Adam qui l'a faite....
― Sale menteuse, glapit Dieu, vous m'avez volé ma Merde, oui ! Eh bien, chaque fois que vous mangerez des pommes vous aurez la chiasse, filez !
― Allons, fit-elle, le serpent avait raison, c'est rudement bon. Viens, on va bouffer des pommes.
Les pommes
Roland Topor
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samedi, 09 juin 2012
"L’armoire aux cerveaux"
Un après-midi, le docteur Dide me dit :
– Venez voir mon laboratoire.
Les travaux de ce savant sont célèbres par le monde.
Au moyen d’une machine perfectionnée, il coupe les cerveaux en tranches minces comme l’on fait du jambon de Parme dans les boutiques italiennes d’alimentation. Il examine ensuite la chose au microscope. De là sortira peut-être la clé de la maladie mystérieuse. Du moins espérons-le.
Je me promenais donc, respectueusement, dans ce temple de l’avenir, quand, soudain, je tombai en arrêt devant un réduit imprévu. Cent vingt pots de chambre, chacun dans un joli petit casier, ornaient seuls les murs de ce lieu. Aux anses pendaient des étiquettes portant noms d’hommes et de femmes et, en dessous : D. P. (démence précoce). Délire progressif. Confusion mentale, psychoses symptomatiques, lésions circonscrites ; P. G. marche rapide. Épilepsie. Idiotie.
Ces pots de chambre aussi correctement présentés avaient dans leur air quelque chose de fascinateur.
– C’est mon armoire à cerveaux, fit Dide.
Il tira un pot par l’anse : un cerveau nageait dans un liquide serein. Regardant l’étiquette, le savant me dit :
– C’est Mme Boivin.– 59 –
– Enchanté !
Je demeurais en extase devant l’armoire.
– Parfait ! fis-je, vous avez là de beaux cerveaux, mais pourquoi dans des pots de chambre ?
Le maître me regarda bien en face et me répondit :
– Parce que le pot de chambre, monsieur, est la forme idéale du cerveau !
*
Albert LONDRES, Chez les fous, récit, 1929
IX l'armoire aux cerveaux -
Denis Poizat « "Chez les fous", hommage à Albert Londres », Reliance 1/2006 (no 19), p. 7-8.
URL : www.cairn.info/revue-reliance-2006-1-page-7.htm.
Jérôme Bosch : "L'excision de la pierre de Folie"
(vers 1494 - 48 x 35 cm - Musée du Prado, Madrid)
08:56 Publié dans / Londres Albert | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : albert londres, chez les fous, armoire, cerveau, pot-de-chambre, médecine, jérôme bosch; pierre de folie