mardi, 25 juin 2013
La mitrailleuse à gifles - Henri Michaud
C’est dans la vie de famille, comme il fallait s’y attendre, que je réalisai la mitrailleuse à gifles. Je la réalisai, sans l’avoir méditée. Ma colère tout à coup se projeta hors de ma main, comme un gant de vent qui en serait sorti, comme deux, trois, quatre, dix gants, des gants d’effluves qui, spasmodiquement, et terriblement vite se précipitèrent de mes extrémités manuelles, filant vers le but, vers la tête odieuse qu’elles atteignirent sans tarder.
Ce dégorgement répété de la main était étonnant. Ce n’était vraiment plus un gifle, ni deux. Je suis d’un naturel réservé et ne m’abandonne que pour le précipice de la rage.
Véritable éjaculation de gifles, éjaculation en cascade et à soubresauts, ma main restant rigoureusement immobile.
Ce jour-là, je touchai la magie.
Un sensible eût pu voir quelque chose. Cette sorte d’ombre électrique jaillissant spasmodiquement de l’extrémité de ma main, rassemblée et se reformant en un instant.
Pour être tout à fait franc, la cousine qui m’avait raillé venait d’ouvrir la porte et de sortir, quand réalisant brusquement la honte de l’offense, je répondis à retardement par une volée de gifles qui, véritablement, s’échappèrent de ma main.
J’avais trouvé la mitrailleuse à gifles, si je puis dire, mais rien ne le dit mieux.
Ensuite je ne pouvais plus voir cette prétentieuse sans que gifles comme guêpes ne filassent de ma main vers elle.
Cette découverte valait bien d’avoir subi ses odieux propos. C’est pourquoi je conseille parfois la tolérance à l’intérieur de la famille.
15:45 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : henri michaux, liberté d’action, gifles, mitraillettes, objets
mardi, 03 juillet 2012
Avis aux jeunes ménages
Henri Michaux
Dès qu'on oublie ce que sont les hommes, on se laisse aller à leur vouloir du bien. C'est pourquoi, sans doute, on conseille de se recueillir de temps à autre, de faire retraite.
Qui n'a pas de femmes ne songe qu'à les caresser. Qui femme a, la caresse, mais ne songe qu'à la battre. Eh bien, qu'il la batte... pourvu qu'elle ne s'en aperçoive pas.
Cependant mieux vaut encore la tuer. Après, ça ira mieux. Vous vous sentirez plus d'aplomb comme si vous veniez de fumer une bonne pipe, une vraie bonne pipe. Elle aussi d'ailleurs et elle vous appréciera davantage, vous trouvant moins préoccupé, plus vivant, plus aimable, car vous le serez, c'est immanquable. Mais il faudra peut-être la retuer de temps en temps. La paix dans le ménage est à ce prix.
Vous le savez maintenant. Vous ne pouvez plus reculer...
D'ailleurs, elle-même vous tue peut-être depuis le premier jour que vous avez passé ensemble. Pour une femme un peu délicate, un peu nerveuse, c'est presque un besoin.
Henri Michaux
Liberté d’action ( La vie dans les plis )
16:56 Publié dans / Michaux | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : henri michaux, liberté d’action, la vie dans les plis, homme, femme