Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

mardi, 05 juin 2012

« La bosse du pudding à la chipolata »

Le procès du criminel Pierre-François Lacenaire débute en 1835 devant la cour d’assises de la Seine : il est jugé et condamné à mort pour assassinats, tentative d’assassinat, vols et escroqueries.

« L'eau? Non, on doit trop souffrir. Le poison? Je ne veux pas qu'on me voie souffrir. Le fer? Oui, ce doit être la mort la plus douce. Dès lors, ma vie devint un long suicide, je ne fus plus mien, j'appartenais au fer. Au lieu de couteau et de rasoir, je choisis la grande hache de la guillotine. Mais je voulais que ce ne fût qu'une revanche. La société aura mon sang, mais j'aurai le sang de la société. » (Pierre-François Lacenaire)

Lacenaire revendique ses crimes et prétend avoir déclaré la guerre à une société injuste et c’est la conscience tranquille qu’il se prépare à affronter la guillotine : 

 "Au point de vue moral, il semble bien n’y avoir jamais eu de conscience plus tranquille que celle de ce bandit. À la veille de sa mort, il plaisante les prêtres qui l’importunent, les phrénologues, les anatomistes qui le guettent" (André Breton).

Le bourreau Henry Clément Sanson témoigne de ses derniers instants :

" La guillotine était fatiguée, elle venait de renoncer sur l’ouvrage. Il y avait longtemps qu’elle n’avait fonctionné deux fois de suite, & tout essoufflée de la première proie qu’on lui avait donné à dévorer, elle s’arrêtait devant la seconde.
Il y eut donc un temps d’arrêt de dix-sept secondes, dix-sept siècles pour moi. Mes yeux se portèrent de suite sur le patient : je le vis cherchant, sans bouger de place, à tourner obliquement la tête dans la lunette pour élever, jusqu’au sommet de la rainure, un regard dans lequel se lisait plus de surprise que d’effroi. "


Ozias Leduc, PhrénologieCher Public,

Ta curiosité a été excitée à un si haut point par mes dernières étourderies, tu t’es mis avec tant d’ardeur à la piste de la moindre circonstance qui présentât quelque rapport avec moi, qu’il y aurait maintenant plus que de l’ingratitude de ma part à ne pas te satisfaire. Et puis, que gagnerais-je à garder le silence? il n’en faudrait pas moins que je serve de pâture à ton avidité. Je vois d’ici une nuée de phrénologues, cranologues, physiologistes, anatomistes, que sais-je? Tous oiseaux de proie vivant de cadavres, se ruer sur le mien sans lui laisser le temps de se refroidir. J’aurais bien voulu m’éviter cette dernière corvée; mais comment faire? je ne m’appartiens plus en ce moment; que sera-ce après ma mort? Aussi quelle curée pour la phrénologie, quel vaste champ de conjectures! que dis-je? la phrénologie n’en est déjà plus aux conjectures, elle s’appuie sur des données certaines; elle est enfin aussi avancée dans sa marche que la pathologie du choléra.

 Mon crâne à la main, je ne doute pas que ses illustres professeurs ne te donnent les img-1.pngdétails les plus minutieux et les plus exacts sur mes goûts, mes passions et même sur les aventures de ma vie… dont ils auront eu connaissance auparavant. Malheureusement, la science n’est pas infaillible, les phrénologues comme les autres sont sujets à des bévues et à des confusions : témoin le fait suivant qui est assez plaisant pour trouver place ici. On se souvient encore du procès de Lemoine, assassin de la domestique de madame Dupuytren, et de Gilart, accusé de complicité avec  lui. Ce dernier faisait à grand-peine des vers sans mesure ni raison; il avait même, je crois, rimé sa défense. Lemoine, excellent cuisinier de son état, avait une haute portée d’esprit; mais son éducation avait été négligée, et il n’avait jamais essayé de faire un seul vers de sa vie; moi, qui l’ai connu très particulièrement, je puis assurer qu’il en faisait même peu de cas. Il fut condamné à mort et exécuté. Les phrénologues se livrèrent à des observations profondes sur son organisation; mais leur mémoire, peu fidèle sur certains renseignements donnés, confondit Lemoine avec Gilart, dont, fort heureusement pour lui, ils n’avaient pas eu le crâne à leur disposition; et je les ai entendus, moi, en séance publique, affirmer qu’il résultait des découvertes obtenues sur le crâne de Lemoine qu’il devait avoir une forte inclination pour la poésie, découverte confirmée du reste, disaient-ils, par ses occupations poétiques pendant sa détention. Lemoine poète! Après un résultat aussi satisfaisant, qui pourra m’assurer qu’on ne découvrira pas en moi la bosse de la chimie culinaire et du pudding à la chipolata? [… ]


Première préface des Mémoires de Pierre-François Lacenaire

*

> Demartini Anne-Emmanuelle, " L'infamie comme œuvre " L'autobiographie du criminel Pierre-François Lacenaire, Sociétés & Représentations, 2002/1 n° 13, p. 121-136. DOI : 10.3917/sr.013.0121 

> Anne-Emmanuelle Demartini, L’affaire Lacenaire, Paris, Aubier, « Collection historique », 2001, 430 p., ISBN 2-70-072297-3.  - Jean-Claude Farcy - Crime, histoire & société - revues.org

>  " Pierre-François Lacenaire (1803-1836) : défaire ce monde, déjà " par Lémi - Article 11

excutionlacenairevictorts5-aadbb.jpg

jeudi, 24 mai 2012

Duc de Vendôme

Étant sur sa chaise percée, il dit à son valet de chambre : « Pourquoi ne me rases-tu pas ? — Monseigneur, c'est que votre bassin à barbe est sous vous. » Gaignières

220px-Louis_joseph_duke_of_vend%C3%B4me.jpg « Sa saleté était extrême ; il en tirait vanité : les sots le trouvaient un homme simple. Il était plein de chiens et de chiennes dans son lit, qui y faisaient leurs petits à ses côtés. Lui-même ne s'y contraignait de rien. Une de ses thèses était que tout le monde en usait de même, mais n'avait pas la bonne foi d'en convenir comme lui ; il le soutint un jour à Mme la princesse de Conti, la plus propre personne du monde, et la plus recherchée dans sa propreté.

Il se levait assez tard à l'armée, se mettait sur sa chaise percée, y faisait ses lettres, et y donnait ses ordres du matin. Qui avait affaire à lui, c'est-à-dire pour les officiers généraux et les gens distingués, c'était le temps de lui parler. Il avait accoutumé l'armée à cette infamie. Là, il déjeunait à fond, et souvent avec deux ou trois familiers, rendait d'autant, soit en mangeant, soit en écoutant ou en donnant ses ordres, et toujours force spectateurs debout. (Il faut passer ces honteux détails pour le bien connaître.) Il rendait beaucoup; quand le bassin était plein à répandre, on le tirait et on le passait sous le nez de toute la compagnie pour l'aller vider, et souvent plus d'une fois. Les jours de barbe, le même bassin dans lequel il venait de se soulager servait à lui faire la barbe. C'était une simplicité de moeurs, selon lui, digne des premiers Romains, et qui condamnait tout le faste et le superflu des autres. Tout cela fini, il s'habillait, puis jouait gros jeu au piquet ou à l'hombre, ou s'il fallait absolument monter à cheval pour quelque chose, c'en était le temps. L'ordre donné au retour, tout était fini chez lui. Il soupait avec ses familiers largement; il était grand mangeur, d'une gourmandise extraordinaire, ne se connaissait à aucun mets, aimait fort le poisson, et mieux le passé et souvent le puant que le bon. La table se prolongeait en thèses, en disputes, et par-dessus tout, louanges, éloges, hommages toute la journée et de toutes parts.

 

Mémoires de Louis de Rouvroy, duc de Saint-Simon

Tome 5 chapitre VIII - 1706

 

Duc, pair de France et courtisan, Saint-Simon vécut à la charnière du " grand siècle "» et de celui des " lumières ". Il observa la cour de Versailles et les "grands "  qui la hantaient . C'est vers 1739 qu'il entama la véritable rédaction de ses Mémoires qui, après avoir été saisis et circulés sous le manteau, ne paraîtront en édition complète qu’en 1829-1830.

 

vendredi, 03 juin 2011

Manques de formes

 La Victime, ruinée, couvre l'avoué roux d'un tas de coups de revolver, n'ayant pas d'autre arme sous sa main.

Envoi des clercs. On interroge ce client.

« Ça et ça ?

— Ça et ça.

— Alors pourquoi n'avoir pas tué votre femme, cause de tout, au lieu de Me Untel qui ne fut que son agent ?

— Parce qu'on ne fusille pas de la merde. »


Par un de ces hasards qui arrivent rarement, la Victime s'est évadée du Dépôt des Condamnés et a tué sa femme je ne sais pas avec quoi. Comme on lui rappelle son dernier propos touchant son avant-dernier crime, propos qui infirmait d'avance toute apologie du crime récent :

« Je me trompais alors, dit-il en tendant ses poings aux menottes. J'ai réfléchi depuis. Il faut que tout le monde meure. »

_-_-_

Paul Verlaine.
Les Mémoires d'un veuf.


> Verlaine et la tentation de la prose  - M. Michel Décaudin  -  Cahiers de l'Association internationale des études françaises  -   Année   1991   - Volume   43   - Numéro   43    pp. 271-279

L'ouvrage paraît en 1886, mais il est composé de textes dont la rédaction s'étale sur vingt ans, les premiers datants de 1867.