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vendredi, 21 décembre 2012

Fabricant d'asticots

asticot-fancais-blanc-groupe.jpg« Que fait M. Salin? demanda M...

— Oh! il n'est pas au bureau de l'assistance publique! (Être au bureau est une honte pour un tyomme, dans ces quartiers de travailleurs.) C'est un homme qui gagriejoliment sa vie : il est Fabricant D'asticots.

Nous avouons que.. nous ne nous y attendions pas. Cette industrie nous parut exorbitante. Le fabricant d'astjcots dépassait de cent coudées notre imagination. Nous craignions de n'avoir pas-bien entendu, mais certainement nous ne comprenions pas. Il nous fallait une explication.

« Fabricant d'asticots! dis-je avec surprise.

— Mais oui... Vous savez bien ces petits vers qui servent à pêcher.

— Je sais. Mais comment les fabriquent-il ?

— Ah voilà! Ce n'est peut-être pas très propre, cet état-là, mais on y gagne sa vie. Il y a à Paris plus de deux mille pêcheurs à la ligne, beaucoup de gamins et pas mal de bons bourgeois établis ou retirés des affaires. Le père Salin a fait connaissance avec ceux-ci sur le bord de l'eau. Il leur fait des asticots pour amorcer toute l'année. Pour cela il a loué tout le haut de la maison, un ancien pigeonnier. Il y met macérer des charognes de chiens et de chats que lui fournissent les chiffonniers. Quand c'est en putréfaction, les vers s'y mettent; le père Salin les recueille dans des boites de fer-blanc qu'on nomme calottées, et il les vend jusqu'à quarante sous la calottée. Vous voyez que ce n'est pas bien malin à fabriquer. Mais dame! il faut un fier odorat pour faire ce métier-là! Tout le monde ne le pourrait pas. Aussi ses journées sont-elles très bonnes au commencement de la saison : il ne gagne jamais moins de dix à quinze francs par jour, et tout le reste de l'année sept à huit francs. Mais ça n'a pas d'ordre, ça aime trop à lever le coude (boire).

— Cependant, lorsque les eaux sont hautes, on ne pêche guère; il doit souvent chômer pendant l'hiver?

— Au contraire, c'est son meilleur temps, parce que alors il élève des vers pour les rossignols, ce qui est un excellent métier, dont il a presque le monopole. C'est propre, c'est facile, cela rapporte beaucoup. Il suffit de prendre de la recoupe (petit son), qu'on mêle avec de la farine et de vieux morceaux de bouchons ; on les laisse couver dans de vieux bas de laine, et les asticots rouges naissent tout seuls. Cela se vend dix sous le cent. Généralement les amateurs de rossignols sont de vieilles femmes riches et des bourgeois qui ont des métiers tranquilles : les bouquinistes, les relieurs, les tailleurs à façon. Tous ces gens-là paient bien et comptant: il suffit donc d'avoir une dizaine de pratiques possédant chacune trois ou quatre oiseaux pour vivre bien à son aise et payer une femme de ménage. S'il n'aimait pas tant la boisson, le père Salin pourrait être propriétaire tout comme un autre ; mais il mourra à l'hôpital, il est trop artiste. »


Paris anecdote, Alexandre Privat d'Anglemont