dimanche, 05 juin 2016
Le cheval de Solférino
Mercredi 1er juin.— Le baron Larrey contait, ce soir, un épisode de Solférino. Il était à cheval, aux côtés de l'empereur, sur une éminence, au moment où la canonnade était effroyable, quand tout à coup, l'empereur lui dit: « Larrey, votre cheval est tué.» Il descendait, et voyait à son cheval, un grand trou au poitrail, d'où jaillissait une fontaine de sang. Ma foi, en sa qualité de chirurgien, il demandait une alène, de la grosse ficelle, et le recousait sur place, puis, le faisait reconduire à l'ambulance entre deux chevaux qui le soutenaient. Et le pansant et le soignant comme un soldat blessé, il le sauvait, et le bulletin de la santé du cheval devenait un sujet de conversation pendant toute la campagne, et même lors de l'entrevue de Villafranca. Enfin, complètement rétabli, le cheval était placé dans les écuries de l'impératrice.
Yvon,— c'était convenu,— devait représenter l'épisode dans la bataille de Solférino, mais le général Fleury s'y opposait, prétextant que la blessure du cheval déplaçait l'intérêt, le retirait de dessus la tête de l'empereur.
Journal des Goncourt – 1er juin 1862
Napoléon III à la bataille de Solferino, le 24 juin 1859
1861 - par Adolphe Yvon (1817-1893)
> La bataille de Solférino (24 juin 1859) | L'histoire par l'image
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dimanche, 10 mai 2015
Les ferments du concubinage
" Ce sont les fallacieux rosbifs et les illusoires gigots cuits au four des restaurants qui développent les ferments du concubinage dans l’âme ulcérée des vieux garçons."
Joris-Karl Huysmans, Croquis parisiens (1890)
Le poème en prose des viandes cuites au four.
Ce sont les fallacieux rosbifs et les illusoires gigots cuits au four des restaurants qui développent les ferments du concubinage dans l’âme ulcérée des vieux garçons.
Le moment est venu où la viande tiède et rose, sentant l’eau, écœure. Sept heures sonnent. Le célibataire cherche la table où il se place d’habitude dans sa gargote coutumière et il souffre de la voir occupée déjà. Il retire du casier pendu au mur sa serviette tachée de vin et, après avoir échangé des propos sans intérêt avec les clients voisins, il parcourt l’invariable carte et s’assied, morose, devant le potage que le garçon apporte, en y lavant, tous les soirs, un pouce.
L’humble dépense de son dîner s’accroît maintenant, pour agacer l’appétit interrompu, d’inutiles suppléments de salades durement vinaigrées et d’un demi-siphon d’eau de Seltz.
C’est alors qu’après avoir avalé sa soupe, tout en roulant dans une quotidienne sauce rousse les tronçons filandreux d’un aloyau sans suc, le célibataire cherche à endormir l’horrible dégoût qui lui serre le gosier et lui fait lever le cœur.
Une première vision l’obsède tandis qu’il regarde, sans le lire, le journal qu’il a tiré de ses poches. Il se rappelle une jeune fille qu’il aurait pu épouser, il y a dix ans ; il se voit uni avec elle, mangeant de robustes viandes et buvant de francs bourgognes, mais le revers se montre aussitôt et alors se déroulent devant son esprit chagrin les étapes d’un affreux mariage. Il s’imagine assister, au sein de sa nouvelle famille, à l’échange persistant des idées niaises et aux interminables parties de loto égayées par l’énumération des vieux sobriquets qu’on donne aux chiffres. Il se voit aspirant après son lit et supportant, une fois couché, les attaques répétées d’une épouse grincheuse ; il se voit, en habit noir, au milieu d’un bal, l’hiver, arrêté dans le somme qu’il préparait par le coup d’œil furieux de sa femme qui danse ; il s’entend reprocher, une fois rentrés, la maussade attitude qu’il a tenue dans le coin des portes, il s’entend tout d’un coup enfin traité justement par le monde de cocufié...... et le dîneur absorbé frémit et mange avec plus de résignation une bouchée de l’affligeant fricot qui se fige sur son assiette.
Mais, tout en mâchant l’insipide et coriace viande, tout en souffrant des aigres renvois que procure l’eau de Seltz, la tristesse du célibat lui revient et il songe, cette fois, à une bonne fille qui serait lasse d’une vie de hasard et qui voudrait s’assurer un sort ; il songe à une femme déjà mûre dont les amoureuses fringales auraient pris fin, à une maternelle et rustaude compagne qui accepterait, en échange de la pâtée et de la niche, toutes ses vieilles habitudes, toutes ses vieilles manies.
Pas de famille à visiter, pas de bals à subir, le couvert mis tous les jours chez soi à la même heure, le cocuage devenu sans importance, peu de chances, en somme, d’enfanter des mômes qui piaillent sous le prétexte qu’ils font des dents et, accélérée par le dégoût sans cesse croissant du repas pris au dehors, l’idée d’un collage devient plus impérieuse et plus fixe et le célibataire sombre, corps et biens, apercevant dans un lointain mirage un joyeux tourne-broche, rouge comme un soleil, devant lequel passent lentement, jutant à grosses gouttes, de tout-puissants rumsteck.
Ce sont les fallacieux rosbifs et les illusoires gigots cuits au four des restaurants qui développent les ferments du concubinage dans l’âme ulcérée des vieux garçons.
11:37 Publié dans G/H | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : huysmans, concubinage, rosbif, gastronomie
jeudi, 13 janvier 2011
La canne de M. de Balzac
On donnait Robert le Diable ce jour-là. Tancrède alla se placer à une stalle de l'orchestre; mais à peine il était assis, qu'un objet étrange attira ses regards.
Sur le devant d'une loge d'avant-scène se pavanait une canne. —Était-ce bien une canne? Quelle énorme canne ! à quel géant appartient cette grosse canne ?
Sans doute c'est la canne colossale d'une statue colossale de M. de Voltaire. Quel audacieux s'est arrogé le droit de la porter?
Tancrède prit sa lorgnette et se mit à étudier cette canne-monstre.—Cette expression est reçue: nous avons eu le concert-monstre, le procès-monstre, le budget-monstre.
Tancrède aperçut alors au front de cette sorte de massue, des turquoises, de l'or, des ciselures merveilleuses; et derrière tout cela, deux grands yeux noirs plus brillants que les pierreries.
La toile se leva; le second acte commença, et l'homme—qui appartenait à cette canne—s'avança pour regarder la scène.
— Pardon, monsieur, dit Tancrède à son voisin; oserais-je vous demander le nom de ce monsieur qui porte de si longs cheveux?
— C'est M. de Balzac.
— Lequel ? l'auteur de la Physiologie du Mariage ?
— L'auteur de la Peau de Chagrin, d'Eugénie Grandet, du Père Goriot.
— Ah ! Monsieur, je vous remercie mille fois.
Tancrède se mit de nouveau à lorgner M. de Balzac et sa canne.
Mais cette canne le préoccupait.
— Comment, se disait-il, un homme aussi spirituel a-t-il une si vilaine canne?—Peut-être contient-elle un parapluie; il y a un mystère là-dessous.
La Canne de M. de Balzac, Mme Émile de Girardin
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A partir de 1834, Balzac exhiba une canne en jonc dont la monture à " ébullition de turquoises" ( très féminines) et " à pomme d'or ciselée " fut commandée à l'orfèvre et joaillier parisien, Lecointe. Selon Octave mirbeau, " il disait – le dindon – que la pomme avait été ciselée dans l'or fondu des bracelets de ses amies..."
Ce bâton de maréchal littéraire en agaça plus d'un. En 1835, il écrit à Madame Hanska : " Vous ne sauriez imaginez quel succès a eu ma Canne, ce bijou qui menace d’être européen. Revenu d’Italie, Borget me contait en riant, qu’en en parlait à Naples et à Rome. Tout le dandysme de Paris en a été jaloux. Pardonnez-moi, mais il paraît que ce sera matière à biographie ! "
16:34 Publié dans G/H | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : canne, balzac