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mardi, 26 mars 2013

Oreille

" L’oreille est très nécessaire à bien étudier et à bien mettre à sa place, entendu qu’elle attache le col à la tête ; il faut le plus possible la faire d’une belle forme. Étudiez l’antique ou la belle nature. On peut observer, par exemple, que généralement la nation allemande, et surtout la nation autrichienne, les a attachées plus haut qu’elles ne devraient l’être dans la proportion exacte, de même que l’emmanchement de son col est différent de celui des autres individus appartenant à d’autres pays. Il est large, gros, et prend très haut derrière l’oreille ; cette nation a le mastoïde très fort. Si l’on peint donc une Allemande, on doit conserver ce trait caractéristique de sa nation, qui se trouve aussi dans l’ossement large de son front et dans ses joues assez ordinairement plates et étroites. Il faut le plus possible faire en entier l’oreille et bien étudier ses cartilages, quitte à mettre par-dessus des cheveux. "


« Élisabeth Vigée-Lebrun, Conseils pour la peinture du portrait, 1869 », in Anne Lafont (dir.), Plumes et Pinceaux. Discours de femmes sur l’art en Europe (1750-1850) — Anthologie, Dijon, Presses du réel/INHA (« Sources »)

vendredi, 08 mars 2013

Chou cabus

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Nous nous étendîmes donc sur des matelas fort mollets, couverts de grands tapis ; et un jeune serviteur ayant pris le plus vieil de nos philosophes, le conduisit dans une petite salle séparée, d'où mon démon lui cria de nous venir retrouver, sitôt qu'il aurait mangé.

Cette fantaisie de manger à part me donna la curiosité d'en demander la cause : « Il ne goûte point., me dit-il, l'odeur de viande, ni même des herbes, si elles ne sont mortes d'elles-mêmes, à cause qu'il les pense capables de douleur. - Je ne m'ébahis pas tant répliquai-je, qu'il s'abstienne de la chair et de toutes choses qui ont eu vie sensitive ; car en notre monde les pythagoriciens, et même quelques saints anachorètes, ont usé de ce régime ; mais de n'oser par exemple couper un chou de peur de le blesser, cela me semble tout à fait ridicule. - Et moi, répondit mon démon, je trouve beaucoup d'apparence en son opinion.

« Vous anéantissez l'âme d'un chou en le faisant mourir, mais en tuant un homme vous ne faites que changer son domicile ; et je dis bien plus : puisque Dieu, le Père commun de toutes choses, chérit également ses ouvrages, n'est-il pas raisonnable qu'il ait partagé ses bienfaits également entre nous et les plantes ?

Il est vrai que nous naquîmes les premiers, niais dans la famille de Dieu il n'y a point de droit d'aînesse : si donc les choux n'eurent point leur part avec nous du fief de l'immortalité, ils furent sans doute avantagés de quelque autre qui, par sa grandeur, récompense sa brièveté ; c'est peut- être un intellect universel, une connaissance parfaite de toutes les choses dans leurs causes, et c'est peut- être aussi pour cela que ce sage moteur ne leur a point taillé d'organes semblables aux nôtres, qui n'ont pour tout effet qu'un simple raisonnement faible et souvent trompeur, mais d'autres plus ingénieusement travaillés, plus forts et plus nombreux, qui leur servent à l’opération de leurs spéculatifs entretiens.

Vous me demanderez peut-être ce qu'ils nous ont jamais communiqué de ces grandes pensées. Mais, dites-moi, que nous ont jamais enseigné les anges non plus qu'eux ? Comme il n'y a point de proportion, de rapport ni d'harmonie entre les facultés imbéciles de l'homme et celles de ces divines créatures, ces choux intellectuels auraient beau s'efforcer de nous faire comprendre la cause occulte de tous les événements merveilleux, il nous manque des sens capables de recevoir ces hautes espèces. Moïse, le plus grand de tous les philosophes, puisqu'il puisait, à ce que vous dites, la connaissance de la nature dans la source de la nature même, signifiait cette vérité lorsqu'il parla de l'Arbre de Science: il voulait nous enseigner sous cette énigme que les plantes possèdent privativement la philosophie parfaite.

Souvenez-vous donc, Ô de tous les animaux le plus superbe ! qu'encor qu'un chou que vous coupez ne dise mot, il n'en pense pas moins. Mais le pauvre végétant n'a pas des organes propres à hurler comme nous; il n'en a pas pour frétiller ni pour pleurer; il en a toutefois par lesquels il se plaint du tort que vous lui faites, par lesquels il attire sur vous la vengeance du ciel. Que si vous me demandez comme je sais que les choux ont ces belles pensées, je vous demande comme vous savez qu'ils ne les ont point, et que tel, par exemple, à votre imitation ne dise pas le soir en s'enfermant : Je suis, Monsieur le Chou Frisé, votre très humble serviteur. CHOU CABUS.  

 

Cyrano de Bergerac,  Histoire comique des Etats et empires de la Lune et du Soleil,